Dans une chronique publiée par La Tribune, Maximilien Rouer, PDG de BeCitizen et Barthélémy Rouer, DG de Wind Prospect, s’insurgent contre le mauvais procès qui, selon eux, est fait à l’éolien. Ils rapprochent l’opposition actuelle à l’éolien à celle qu’a du subir le nucléaire à ces débuts.
Cet été, deux décisions ont défrayé le Landerneau des énergies renouvelables en France. Fin juillet, l’Institut Montaigne publie opportunément une note reprenant à son compte tous les arguments anti-éoliens existants. Début août, le Conseil d’État annule pour vice de forme le tarif de rachat de l’électricité éolienne. Ces deux événements indépendants et pourtant si cohérents permettent de rapprocher l’opposition à l’éolien de celle à laquelle le nucléaire dut faire face. Et de conclure que celles-ci ne sont après tout que de banales oppositions au changement.
Souvenons-nous. En 1974 à Erdeven, les manifestations mettent un coup d’arrêt à l’installation d’une centrale nucléaire. En 1978, ce sera à Plogoff, avec des images qui feront le tour du monde. Le nucléaire a-t-il pour autant été abandonné ? En 2008, pénurie énergétique et changement climatique le remettent en selle, et au mieux de sa forme.
L’éolien vit, depuis la décision politique de le développer à l’échelle industrielle en 2001, un rejet persistant d’une partie de l’opinion. Oppositions essentiellement locales, nourries du syndrome Nimby, « not in my back yard », pas près de chez moi, qui consiste à s’opposer à tout changement impactant sa vie personnelle (installation d’une porcherie, ligne de TGV, usine, éolienne ou autre). Le bruit, l’odeur, la vue et/ou le risque industriel, l’intérêt général sont invoqués.
Inquiet de plaire, le politique louvoie entre ses engagements internationaux (notamment ceux vis-à-vis de l’Union européenne : 20% de gaz à effet de serre en moins, 20% d’énergies renouvelables en plus), sa responsabilité sociétale, et des groupes de pression aux arguments éculés : l’éolien serait « inutile, insuffisant, dangereux, trop cher, etc. ».
Ne serait-ce pas du déjà vu ? Cette attitude est tellement humaine qu’elle remonterait à la Préhistoire. Dans le roman de Roy Lewis « Pourquoi j’ai mangé mon père » (Pocket, 2004, 182 pages), la maîtrise du feu est perçue par une partie de la tribu comme inutile et dangereuse… et donc rejetée. Plus proche de nous, rappelons-nous des arguments savants des opposants aux chemins de fer au XIXe siècle, pour convaincre que sa grande vitesse était dangereuse pour la santé.
De là à dire que la France pourrait manquer le train de l’éolien et par là, des énergies renouvelables, il n’y a qu’un pas. Le monde a toutefois changé depuis le XIXe siècle, et plus vite que nos mentalités : globalisation aidant, les technologies de demain se développent chez nos voisins européens et dans le reste du monde sans ambages pendant que la France controverse. Maintenir une opposition au changement pour une technologie mature et nécessaire dans le contexte concurrentiel actuel est donc au mieux un anachronisme culturel, au pire une erreur industrielle et stratégique. L’opposition à l’éolien en France est d’ailleurs inexplicable à un Américain ou à un Indien, pour qui l’ouverture du mix énergétique à d’autres sources que les énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) ou nucléaires paraît indispensable.
Une vision éclairée et non dogmatique du futur de la production énergétique mondiale est celle de la Chine : toutes les technologies de production électrique doivent être installées, le plus vite possible et idéalement au coût climatique le plus bas, pour anticiper la croissance des besoins.
Dans le cas de la France, où la consommation d’électricité a augmenté de 74% depuis 1980, ces technologies permettraient aussi d’anticiper le renouvellement des moyens de production vieillissants. L’éolien est en marche, avec ou sans la France. C’est devenu une industrie, avec une croissance de 20 % par an, et déjà plus de 100 GW de capacité installée dans le monde (le parc nucléaire français est de 63 GW), représentant un investissement annuel de 50 milliards de dollars.
Que prouvent de tels investissements ? Ne soyons pas dupes : avant tout la compétitivité de cette filière par rapport aux autres modes de production. L’éolien est désormais une industrie compétitive ou en passe de l’être, compte tenu à la fois de l’augmentation des prix des combustibles fossiles, et de la division par trois en quatre ans du surcoût de production au MWh. Les approches consistant à rejeter une technologie au profit d’une autre sont datées. Nous avons besoin du nucléaire ET de l’éolien, comme d’ailleurs aussi du solaire, de la biomasse, etc.
En 2002, Jacques Chirac disait: « La maison brûle. » Depuis, le baril a frôlé les 150 dollars, pour dépasser sans doute les 200 dollars avant 2010. Dans ce contexte, chaque seau d’eau compte. À l’heure des déclarations sur la crise économique, notamment due à la cherté des matières premières, énergie en tête, peut-on vraiment s’offrir le luxe de tergiverser encore sur la valorisation d’un actif dont nous disposons, n’en déplaise à notre esprit gaulois ? Certaines technologies sont relativement indépendantes des ressources du territoire où elles sont implantées. Ainsi en est-il du nucléaire ou des fossiles. A contrario, d’autres technologies sont totalement dépendantes des ressources des territoires sur lesquels elles sont implantées. Ainsi en est-il des énergies renouvelables.
A l’instar de l’expression des pays « rois du pétrole », il existe donc des pays « rois de l’éolien », du solaire, de la géothermie ou encore de la biomasse. Entendre par là des pays dotés de ressources éoliennes, solaires, géothermiques ou biomasses hors du commun. L’inertie des mentalités aidant, peu de ces royaumes se reconnaissent comme tels. Et préfèrent rester vassaux des pays producteurs de pétrole.
La France, grâce à sa géographie et son climat, présente le second gisement éolien en Europe après la Grande-Bretagne. La France est donc un des royaumes de l’éolien. Notre potentiel de production d’électricité éolienne, compatible avec nos usages et nos infrastructures, est de l’ordre de 25 GW. Il est valorisé à 12% aujourd’hui avec 3 GW installés. Autrement dit, 88% de la valeur du territoire en termes de production d’électricité éolienne resterait à exploiter. Sommes-nous si riches pour dédaigner ces actifs ?
Une nuance existe cependant entre les conditions qui ont permis le développement de champions comme Areva et celles qui existent aujourd’hui pour l’éolien : quand dans les années 1970, le Premier ministre Pierre Messmer décida le développement de l’industrie nucléaire en France, cette décision fut suivie d’une cohérence politique et administrative sans faille, malgré les hoquets idéologiques de quelques-uns.
Par Maximilien Rouer, PDG de BeCitizen
Barthélémy Rouer, DG de Wind Prospect
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