Un livre de François Bayrou, édité chez Plon, 18 euro 90.
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Bonne lecture…
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Introduction
« Ce qui bouge sous la pierre, est-ce lézard, est-ce serpent ?»
Le président de la République actuel a un plan. Il nous conduit là où la France a toujours refusé
d’aller. Il le fait sans mandat, sans avoir exposé son intention, au contraire. Il le fait contre la volonté
des Français, qui, pour beaucoup d’entre eux, éprouvent un sentiment de malaise, mais ont du mal à
comprendre la réalité du projet qui est méthodiquement suivi. Y voir clair, comprendre où on nous
mène, voilà l’urgence.
L’entreprise politique qui se mettait en place à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007 m’a très
tôt inspiré de la méfiance. J’en voyais les excès, la forte détermination, les moyens extraordinaires
qu’elle mobilisait. J’en distinguais les « valeurs », mot que j’utilisai pour dire où était mon désaccord
avec le candidat qui allait être élu, et pour qui je ne voterais pas au deuxième tour. Mais il m’a fallu
des mois pour conclure que les décisions que je combattais, les choix où l’on nous entraînait,
avaient leur place dans une stratégie d’ensemble. Et que c’était ce plan qu’il convenait d’abord de
déchiffrer, ce qui n’est jamais facile, et ensuite de combattre.
Sarkozy
Je sais bien que l’on me prête une antipathie fondamentale à l’égard de Nicolas Sarkozy. C’est inévitable, j’imagine, quand en politique on entre dans une confrontation de long terme et de grande conséquence. Mais autant qu’on puisse ne pas se tromper soi-même, j’affirme qu’aucun sentiment de
cet ordre ne m’a jamais habité à son égard. Je n’en ai jamais voulu à Nicolas Sarkozy, au sens d’un
homme en voulant personnellement à un autre homme. Je n’ai jamais eu de contentieux avec lui,
d’aucune nature. Même lorsqu’il lui est arrivé de me faire des mauvais coups [Et quelque chose me
dit que ce n’est pas fini…]. Même lorsqu’il a détourné les élus de ma famille politique pour les
satelliser autour de lui. Je peux concevoir que c’est, comme on dit, le « jeu », en tout cas ce que
certains considèrent comme le jeu. Et s’il existe une responsabilité, ce n’est pas à lui que je l’impute,
mais à la faiblesse des faibles. Nulle trace de rancoeur. En latin, il y a deux mots pour traduire «
ennemi ». Le premier, c’est inimicus, l’ennemi intime, personnel, qu’on ne peut pas voir en peinture,
qu’on rêverait de voir disparaître de la surface de la Terre. Le deuxième mot, c’est hostis, celui à qui
on fait la guerre, quand il y a une guerre, de cité à cité, Rome contre Carthage, Athènes contre
Sparte. J’accepte hostis. Mais rien d’inimicus. Rien de personnel. Ni en bien, ni en mal. Je compte
sur les doigts de la main les déjeuners non officiels que nous avons partagés en vingt ans, et je ne
me souviens pas d’avoir jamais dîné avec lui.
La rupture
« Rupture », donc. Visé, notre modèle français, si souvent moqué pendant la campagne électorale de
Nicolas Sarkozy. Modèle républicain, admirablement défini en trois adjectifs par le texte même de
la constitution : la République est démocratique, laïque et sociale.
Or, depuis que le nouveau pouvoir est installé, la République est de moins en moins démocratique,
puisque tous ses principes, contre-pouvoirs et séparation des pouvoirs, sont allègrement
abandonnés, sans la moindre précaution pour sauver même les apparences.
Elle est de moins en moins laïque puisque tous les discours officiels sur le sujet s’aventurent en
direction d’un mélange des genres, jusqu’à maintenant inimaginable en France, entre politique et
religion, État et Églises ou confessions.
Elle est de moins en moins sociale puisque les inégalités s’accroissent, et que les acteurs du jeu
social, syndicats et corps intermédiaires, sont écartés des vraies décisions et de surcroît moqués, en
tout cas lorsque le climat était au beau. « Maintenant, en France, disait-on pendant l’été, lorsqu’il y a
une grève, on ne s’en rend même plus compte … »
« Rupture » avec le modèle républicain, et adhésion à un autre modèle, celui qui depuis deux
décennies prétend dominer l’univers en imposant ses choix comme s’il s’agissait de lois intangibles.
Par commodité, pendant la campagne électorale, j’ai dit « modèle américain ». Bien entendu,
comme on le voit désormais avec éclat, les Américains sont victimes comme les autres humains de
cette déviation. Peut-être même découvrira-t-on qu’ils en ont été victimes plus que d’autres encore.
Le définir exige d’utiliser des mots compliqués, « néoconservateur », diront les uns, « néolibéral »,
affirmeront les autres. En vérité, il n’y a en tout cela de néo que les mots. Car il s’agit seulement du
plus vieux des renoncements de l’histoire : l’acceptation de l’exploitation du faible par le fort.
L’acceptation de la montée des inégalités, la concentration de la puissance, de toutes les puissances,
économiques, financières, politiques, médiatiques, entre les mains d’un groupe, petit par le nombre,
mais démesuré par l’influence, la manipulation subtile de l’opinion. Or, c’est bien contre ce
renoncement que nous avons construit notre pays, notre maison.
La France, c’était précisément le pays où, face au faible, le fort n’avait pas tous les droits. Il y a cent
cinquante ans que Lacordaire l’a dit mieux que moi : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le
pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit. » C’est
avec cela qu’ils veulent rompre et imposer le modèle inégalitaire.
L’idéologie argent
Au commencement, il y a leur culte de l’argent. Le veau d’or autour duquel ils ronronnent. Si fort et
depuis si longtemps, qu’ils ne s’en rendent même plus compte.
En octobre 2007, Nicolas Sarkozy fait Antoine Bernheim, un des grands parrains du monde des
affaires, grand-croix de la Légion d’honneur. À cette occasion, il reprend une idée qu’il a formulée
cent fois : cette nomination si rare, qui ne fut accordée qu’à soixante-quinze personnes, toutes
serviteurs de l’État, grande première donc pour un homme d’affaires, était un signe, un de plus, pour
que notre pays puisse « régler ses comptes vis-à-vis de l’argent, pour les régler vis-à-vis de la
réussite ». « Je veux réconcilier la France avec l’argent, parce que l’argent c’est la réussite », dit-il
habituellement.
Présence obsédante de l’argent dans la vision du monde de l’actuel président de la République.
Présence de l’argent pour lui-même. À ceux qui le visitent à l’Élysée, Nicolas Sarkozy a fait souvent
cette déclaration : «Tu sais, vous savez, je ne suis pas sûr de me représenter. J’ai d’autres choses à
faire dans la vie. Après, en tout cas, je ferai de l’argent : du gros argent. » Le gros argent. Je ne sais
pas ce qu’un psychanalyste dirait de cette formule…
« Tu es riche, tu as une belle maison, tu as fait fortune. Peut-être plus tard y parviendrai-je moimême…
C’est la France que j’aime », s’enthousiasme Nicolas Sarkozy en décorant Stéphane
Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde qui, en quelques mois, s’est enrichi de plusieurs
dizaines de millions d’euros dans l’opération Nexity.
Les médias sous influence
Un jour de septembre 2006 [Au journal de 20 heures de TF1, afin que nul n'en ignore...], j’ai décidé
de sortir du silence dans lequel vit, tout entière, la partie encore non soumise du monde politique et
médiatique. J’ai braqué le projecteur sur une réalité inédite de la vie démocratique française : la
constitution, au service d’un seul homme, d’un réseau médiatique puissant, associant dans son
intimité et son projet politique les plus importantes puissances de presse écrite et de l’audiovisuel.
Bien sûr, je m’attaquais à de lourds intérêts, à de grandes connivences. Tout le monde le sait : les
soumis, ou les complices, ou les parrains du réseau en vivent. Beaucoup d’autres, journalistes,
responsables de rédaction, le subissent, font le dos rond. Ils espèrent que les choses changeront.
Mais il faut bien vivre. Eux aussi ont des enfants à nourrir, une vie à porter, des années à passer
dans un métier de plus en plus difficile, où on fait de moins en moins de cadeaux, et où tout se tient.
Quand les journaux perdent de l’argent, quand les rédactions se vident de plans sociaux en plans
sociaux, il n’est pas aisé de résister. Pour entrer en guerre, il faut prendre de gros risques, et
l’héroïsme, au quotidien, c’est moins facile qu’on ne croit. On y risque de l’essentiel. À la vérité,
souvent, on arrive à l’héroïsme parce qu’on ne peut pas faire autrement. Cela vous tombe sur le coin
de la figure, comme une foudre. Mais on le choisit rarement de plein gré. Cela aussi fait partie de la
vie. Et il est vrai qu’il suffit d’une fatwa pour que vous vous retrouviez interdit de séjour dans toutes
les rédactions. Peut-être même pas parce qu’un interdit aura été explicitement édicté. Mais parce
que la peur règne partout. C’est déjà assez difficile, le métier de la presse aujourd’hui, et les relations
des rédactions avec les actionnaires, et la relation des actionnaires avec le pouvoir, sans aller encore
chercher des ennuis… Encore se signaler comme provocateurs. Car nous en sommes arrivés à un
temps où embaucher quelqu’un qui a été licencié pour avoir déplu au pouvoir sera forcément
ressenti comme une provocation. Pas seulement ressenti comme tel par le pouvoir. Mais par les
responsables des journaux eux-mêmes ! Par les responsables des rédactions eux-mêmes. C’est de
l’intérieur que ça vient. C’est dans la communauté qu’on vous ostracise, même sans ordre. Vous avez
été banni : vous portez la poisse, des risques d’ennuis. Et les plus brillantes carrières peuvent en être
coulées. Demandez à Genestar.
Il existe un autre chemin…
Lorsque le jour sera venu, la vague qui dira non aux dérives subies depuis des années devra se
renforcer d’une vague qui dit oui. Donnez-nous à espérer, disent les citoyens qui n’aperçoivent
aucune issue. Or l’issue existe. Elle n’est même pas difficile à trouver. Il suffit d’en formuler les
grands axes pour qu’elle s’établisse, se charpente, et entraîne l’adhésion.
Cela sera dit en peu de pages. Parce qu’il y a peu de choix à faire. Depuis des années, les
gouvernements interviennent trop. Trop de lois, trop mal écrites, trop de décrets, circulaires,
règlements, annonces, plans, mesures.
Le premier choix à faire est celui-là : la force d’un pays est-elle dans son État, dans ses politiques,
dans ses gouvernants, ou bien dans la société qui le forme ? Notre réponse est celle-ci : la force d’un
pays est dans sa société. La mission de l’État est donc de donner confiance à la société, aux familles,
à la démocratie locale, aux entreprises, aux associations.
Au lieu de l’État toujours mis en scène, s’exposant sous les projecteurs, j’affirme la nécessité d’un
État sobre. Il faut donc des règles stables et peu nombreuses, indiscutables du point de vue de la
justice, qui laissent vivre la société et non pas qui l’empêchent de vivre. Il faut des principes
fondateurs, respectés dans la longue durée, de manière que la société puisse peu à peu former les
cadres de son action, s’adapter, se rénover, inventer, comme l’oiseau fait son nid, son nid à lui, sous
la poutre, s’adaptant à la forme du bois. L’Etat, c’est la poutre, mais c’est l’oiseau qui fait le nid. Au
lieu de l’État qui s’occupe de tout, je demande des décisions qui font charpente. Pour le reste, cessez
d’empêcher les gens de vivre, de créer, de faire marcher leur maison : ils savent le faire mieux que
vous. Arrêtez de vous mêler de tout, à temps et à contretemps, simplement parce qu’un sondage de
plus est venu alarmer la meute fiévreuse des conseillers et des attachés de presse.
Le premier des principes à reconquérir est la séparation des pouvoirs. Pour empêcher à
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