La société en charge du réseau n’arrive déjà pas à entretenir la voie, multipliant les ralentissements. Comme si ça ne suffisait pas, elle envisage désormais de dégrader la ponctualité des trains et la sécurité sur la voie. Elle invoque des économies, mais s’avère incapable de les chiffrer.
L’acharnement de SNCF Réseau contre la gare de Lus-la-Croix-Haute se poursuit. Alors qu’il avait fallu plusieurs mois de mobilisation pour obtenir le maintien du croisement des trains en 2014, l’entreprise récidive : elle projette d’ici le printemps 2018 de fermer le croisement en gare de Lus pendant le service dit « d’été » (d’avril à décembre), avec à la clef la suppression de 3 postes. Un document interne daté de juin 2017 indique que cette fermeture est envisagée « car il n’y a pas de croisement prévu » dans cette gare. En théorie, c’est vrai : il n’y en a aucun sur la grille horaire de la ligne. Mais en pratique, ils sont nombreux. Et la fermeture du poste entraînerait la multiplication et l’allongement des retards. Pour bien comprendre, il faut se rappeler que la ligne Grenoble-Veynes est à voie unique. Par conséquent les croisements ne peuvent avoir lieu que dans les gares pourvues de personnels affectés à la circulation, qui aiguillent manuellement les trains.
Retards multipliés
Les cheminots eux-même ont fait le compte dans un document remis à la direction : entre avril 2016 et mars 2017, 22 « reports de croisement » ont eu lieu en gare de Lus. Ces reports de croisement ont évité en tout 15 heures de retard cumulés. Sans compter tous les retards secondaires qui en auraient découlé (réutilisations de matériel et de personnel, conflits de circulations à cause du débordement des horaires prévus, etc.). Actuellement, explique un cheminot, les cantons, c’est-à-dire les portions de voie où seul un train peut se trouver à la fois, sont de « 20 minutes environ entre Clelles et Lus, et entre Lus et Aspres. Donc dès qu’un train a 40 minutes de retard, on peut faire un report de croisement dans la gare suivante pour que le train croiseur ne soit pas impacté. Avec la fermeture de Lus, le canton sera de presque 45 minutes, donc il faudra attendre des retards d’environ 1 heure et demie pour pouvoir faire un report de croisement. C’est énorme ». De manière générale, la suppression d’un croisement affaiblit fortement la fluidité de la ligne. Entre 1973 et 1997, la SNCF a fermé sept gares entre Grenoble et Veynes. « On a gagné un peu de temps », raconte Robert Cuchet, président de l’AGV. « Mais ensuite, comme il y avait moins de croisements à cause des fermetures de gares, le respect des horaires était plus difficile. Donc la SNCF a rallongé à nouveau les temps de parcours, justement à cause des fermetures » ! De fait en 1973, les trains mettaient un peu moins de 2 heures pour faire Grenoble-Veynes. C’est toujours le cas aujourd’hui, sauf que près de la moitié des gares a disparu.
Sécurité affaiblie
Non contente de voir se multiplier les ralentissements sur la ligne (limitations de vitesse dues à la dégradation de la voie insuffisamment entretenue), la société en charge du réseau fait donc le choix d’affaiblir la ponctualité. Mais ce n’est pas tout : entre Vif et Veynes, la signalisation qui garantit qu’un seul train circule en même temps sur la voie repose sur le système « CAPI »(cantonnement assisté par informatique). Ce système avait été mis en place suite à une collision entre deux trains qui avait coûté la vie à 35 personnes en 1985 à Flaujac (46). Il relie chaque gare par un signal informatique. « Comme le signal perd en intensité le long de la ligne, il est réalimenté dans chaque gare » raconte un cheminot. « Mais à Lus, il y a beaucoup d’orages qui font sauter l’électricité. Si un agent est sur place pour la remettre, le problème est résolu, mais s’il n’y a plus personne en gare, il faut trouver quelqu’un pour s’y rendre et faire le nécessaire, ça va être long et entre temps CAPI tombe en dérangement ». Problème : dans ce cas, c’est le cantonnement téléphonique qui prend le relais, le même système qu’à l’époque de l’accident de Flaujac. « Et là, il n’y a plus de boucle de sécurité : tout repose sur l’agent qui ne doit pas faire la moindre erreur ». Le risque n’est pas théorique : les cheminots ont comptabilisé cinq disjonctions à Lus depuis la seule fin du mois de juin.
Travaux compliqués, humains supprimés
En outre, la gare de Lus a réalisé 212 fermetures de voie effectuées pour travaux ou autres raisons de service au cours de l’année écoulée, soit plus d’un jour sur deux en moyenne. Elles permettent la conciliation entre travaux et circulations voyageurs, qui sera bien plus délicate avec un canton doublé. D’autant que la plupart des travaux ont lieu en période estivale, c’est-à-dire quand le croisement sera fermé. Enfin, comme le conclut le document établi par les cheminots, « la gare de Lus-la-Croix-Haute c’est aussi des groupes, des malaises, des arrêts toilettes, des personnes à mobilité réduite » qu’il faut aider à monter ou à descendre. Bref, des vrais services et des vrais contacts humains comme autant de petites touches de bonne humeur dans la vie des voyageurs. Mais « la recherche de pistes de productivité » a ses raisons qui ignorent le cœur. C’est elle qui commande le projet de fermeture de la gare, d’après l’aveu de la direction. Pourtant, dénoncent les syndicats, « le coût des détachements (pour assurer le service en hiver quand les postes auront été supprimés), des retards, de la remise en état à la réouverture (…)rend cette opération peu rentable ». En juin dernier, la direction avouait ne pas avoir encore fait ses calculs. Deux mois plus tard, elle semble n’avoir rien de neuf à dire : suite à nos questions, elle s’est contentée de répondre que « pour l’heure, aucune décision n’est prise ». Elle réfléchit peut-être sérieusement aux arguments qui s’opposent à son projet ?
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